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LE BLOG D'AS MALICK NDIAYEasm2021-02-07T11:29:22+01:00frasmTERANGAhttp://asm.blogs.fr/f5cbed7bc9818e66.jpg
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Entretien de Christine Sitchet
http://asm.blogs.fr/page_2.html#a405752
<p>
<span class="titre1">"Partout où l'humain est attaqué dans sa dignité, il y aura un poème pour le défendre"</span> <span class="titre2">Entretien de Christine Sitchet avec As Malick Ndiaye</span></p>
<p style="">
<span class="chapo">Né au Sénégal en 1974, As Malick Ndiaye (1) a publié cette année un premier recueil de poèmes, préfacé par Souleymane Bachir Diagne : <em>Altercultures</em>. Rencontre avec cet auteur installé à Harlem qui aime à conjuguer son identité au pluriel. Et sonner le glas de l'exclusivisme et des pensées repliées sur elles-mêmes.</span></p>
<p>
<span class="citation"><em>Il y en aura toujours dans le monde,<br />
Qui refuserons la main tendue du Nègre.<br />
À ceux-là le Nègre lucide offre toute son humanité,<br />
En dessinant sur ses lèvres charnues ces mots fraternels :<br />
"Comme mes frères, je vous aime et je vous emmerde."</em><br />
<em>(Altercultures, P. 97)</em><br />
<br />
<em>Un sujet quelconque est né,<br />
Il ne pactise pas, il ne renie pas,<br />
Il est ancré en même temps qu'épars,<br />
Il n'est pas fermé, il s'emplit de tout,<br />
Il n'est pas échangiste, il est mélangiste,<br />
[...]<br />
Au diable les puristes.</em><br />
<em>(Altercultures, P. 141)</em><br />
<br />
As Malick Ndiaye, <em>Altercultures</em>, Éditions Phoenix</span></p>
<br />
<p>
<span class="corps"><b><em>Comment aimez-vous à vous définir ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
J'aime assez l'idée de m'imaginer comme le lieu de convergence d'expériences du monde très diverses, une sorte de conscience bariolée, toujours en mutation. C'est d'ailleurs le cas pour beaucoup de monde, le tout c'est de l'accepter avec lucidité et sérénité. C'est dans cette mesure-là, je crois, que nous pouvons affirmer notre subjectivité : prendre, apprendre, comprendre tout ce que l'altérité nous apporte et s'en servir pour nous construire un destin humain. Ce faisant, je deviens moi, non pas ce que l'on voudrait que je sois. Tant pis si les strates de mon identité ne s'articulent pas positivement hors de mon être.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Pourriez-vous raconter la genèse de votre recueil de poème (2) ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Le <em>comment</em> fait souvent écho au <em>pourquoi</em> en littérature. Et votre question renvoie à ces deux interrogations fondamentales. En fait, il n'y a pas de début et j'espère qu'il n'y aura pas de fin dans ce que je fais. Je ne sais ni comment ça arrive, ni pourquoi j'écris. Je ne formule pas de projet d'écriture. Mes textes sont des nappes qui se construisent en continu, en dehors du prétexte éditorial. En anticipant la rédaction d'un livre, j'aurais peur de perdre la spontanéité qui sous-tend mon rapport à la création. Or, la vérité de l'écriture est dans sa spontanéité. C'est peut-être intéressant de se fabriquer un corps d'auteur, mais je suis plus préoccupé par l'aventure intime du texte. Pour vous répondre directement sur ce recueil, les poèmes étaient déjà là depuis longtemps ; la question d'en faire un livre ne s'était pas vraiment posée avant qu'un de mes proches ne réussisse à me convaincre. Peut-être que l'aventure humaine autour de cette publication me donnera envie de partager plus.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<br style="font-size:4px" />
<b>Altercultures <em>débute avec un poème qui se fait geste de gratitude à l'égard d'une confrérie d'auteurs-poètes dont le verbe vous a nourri. On y croise Césaire et Senghor, bien sûr. Mais aussi Aragon, Baudelaire, Bashö, Damas, Neruda, Ranaivo, Rimbaud, Tchicaya, Whitman… Vous concluez : "Je suis né de la cuisse d'un père nègre/Qui m'habilla d'un bonnet phrygien !". Qu'avez-vous souhaité mettre en exergue avec ce texte introductif ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
La diversité des influences. Je ne connais pas un seul auteur qui ne soit pas redevable à d'autres. Il est donc normal d'évoquer cette filiation tout en mettant en exergue la libération qui doit en découler. Enfant, je me suis nourri de cette poésie nègre. Mais en un sens, elle m'a aussi libéré de l'hermétisme en me permettant de voyager, de découvrir des mondes dont la saisie n'était possible que par l'imagination. À travers la poésie, je me sens proche de tant d'autres civilisations.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Dans le premier chapitre ("Écorces intimes"), on découvre l'enfant de Casamance que vous étiez, observateur attentif, exposé au "bruit des armes", celles d'un conflit opposant forces rebelles indépendantistes et forces gouvernementales. On découvre certaines empreintes de ce passé sur l'adulte que vous êtes : "Des plaines vertes où je vins au monde / Je porte en moi l'humeur paisible et tourmentée. [...] C'est là que je me suis éveillé à la connaissance des choses / Et que j'ai acquis à jamais une tranquille et douloureuse lucidité". Dans quelle mesure diriez-vous que cette "humeur tourmentée" et cette "douloureuse lucidité" sont des éléments caractéristiques de votre sensibilité de poète, révélés par le tragique conflit dont vous avez été témoin ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Le conflit casamançais m'a aidé dans ma lecture des grands massacres contemporains et à mettre en perspective très tôt l'idée que la haine de l'autre est l'illustration la plus concrète de notre tendance à l'autodestruction. J'ai très tôt eu conscience de la vanité de la haine et en même temps de son pouvoir corrosif à terme. C'est malheureux à dire, mais j'ai le sentiment que l'urgence d'aimer ne prend tout son sens qu'à travers l'expérience de la haine dans sa nudité. On est condamné à la volonté d'aimer lorsqu'on a vécu dans sa chair la folie destructrice des autres. René Char disait que la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. C'est peut-être cette forme de lucidité que je porte en moi. C'est pour cela d'ailleurs que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le formidable travail de mémoire que les auteurs africains ont fait sur le Rwanda. Ils ont su révéler, comme d'autres avant eux, la banalité du mal et de ce dont l'être humain est capable. L'amour dans ces conditions, sachant ce que l'on sait, est quelque chose de beau et de fort.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Vous célébrez la terre mère, confiant un lien passionnel à votre ville de naissance (3) : "Je désire t'aimer comme on aime un corps." Vous racontez la marque indélébile qu'elle a laissée en vous : "Je t'aime comme on porte une balafre." Vous émaillez aussi vos poèmes d'acerbes critiques et dressez le portrait d'une "Afrique amère". Vous fustigez le gouvernement retiré "dans son palais de lumière", l'omniprésence d'un rêve d'Occident et son pendant, le désir mimétique. C'est : "Dakar comme Paris ! / On peut s'y croire un instant / Avec ces Hummers (4) hideux venus d'outre-mer. / Combien de limousines par habitant ?". Et puis ce jeune qui tente de rejoindre l'Espagne au moyen d'une embarcation précaire, projet que vous faites résonner comme un mirage. Quel regard portez-vous sur ce rêve d'Occident, dont une forme extrême est incarnée par ces jeunes qui tentent la traversée au risque de leur vie ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Cette question, il faudrait la poser à ceux qui ont établi les frontières car il me semble que parcourir le monde est une activité aussi vieille que le monde lui-même. Les États-nations, le passeport, sont des inventions très récentes qui ont la volonté paradoxale de confiner l'humain alors que les frontières naturelles n'y sont pas arrivées en plusieurs millions d'années. Il y aura toujours des pirogues sur l'Atlantique.<br />
<br style="font-size:4px" />
Quant à la situation de l'Afrique, en tant qu'Africain, forcément, elle m'interpelle. J'aimerais que les Africains recouvrent leur dignité. Et quand je dis les Africains, je pense aux Noirs d'Afrique. Il n'y a pas un seul peuple au monde, qui ne se croie pas, consciemment ou non, supérieur aux Noirs. Pourquoi ? Pour moi, cela est en grande partie lié à la perception que nous avons de nous-mêmes. C'est à nous de modifier le regard des autres sur nous. Le respect et l'amour des Africains pour eux-mêmes changeront assurément la nature de leurs rapports avec les autres.<br />
<br style="font-size:4px" />
Les textes que vous citez essayent de dire la hardiesse de l'affirmation d'une présence africaine au monde. Mais je ne cultive pas la désespérance dans ma poésie. Il y a beaucoup de raison de croire en l'Afrique. Et un poème comme <em>Harangue réversible</em> ou <em>Poème pour la terre qui vient</em>, c'est exactement un hymne à l'espérance. Mais sur le chemin de l'espérance, il y a beaucoup de douleur et de la vérité.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Vous adressez aussi des critiques acerbes à une France "Qui de toutes ses dents/Embrasse le fantasme de pureté" ; à une France que vous qualifiez de "pitoyable" ; au "petit homme et sa leçon" (discours de Sarkozy au Sénégal, 2007) ; aux "nids à tourisme / Remplis de gens qui n'ont rien vu, rien vécu, rien compris.". Et quand il est question de tourisme sexuel, vous déployez vos griffes : "Je deviendrais volontiers cannibale"…</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Il y a des poèmes que l'on peut juger très durs envers la France, mais il en est de même pour le Sénégal. Il y a <em>a contrario</em> beaucoup de poèmes d'amour qui s'adressent à ces deux ensembles. Ce qui pose problème, ce n'est pas la France, c'est une certaine idée de la France contemporaine dans laquelle je ne me reconnais pas et qui prend de plus en plus de place dans l'imaginaire collectif des Français. Je suis partagé entre le Sénégal et la France, c'est un accident de l'histoire et c'est comme ça. Ce sont deux sociétés dont les réalités sociales me concernent peut-être plus directement que d'autres. Mais d'un point de vue général, partout où l'humain est attaqué dans sa dignité, il y aura un poème, une voix, pour le défendre. C'est à cela que s'emploie le premier chapitre du recueil, où sont regroupés tous les poèmes qui crient la misère du monde. Il ne s'agit donc pas d'un traitement de faveur réservé à la France. Mais quand je vois la façon dont la France évolue, je ne peux pas dire qu'exprimer de la pitié et de la compassion pour elle soit négatif. Je vois ces poèmes comme des petites mises au point - rappelez-vous le vers "je vous aime et je vous emmerde".<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Dans le recueil, vous réclamez des attaches avec le Sénégal, les banlieues parisiennes, la Bretagne, New York, Harlem, et, quand il le faut, la Russie - vous dédiez un poème (</em>J'irai mourir à Moscou<em>) à </em>Samba <em>Lampsar Sall, étudiant sénégalais qui y fut assassiné en 2006. L'histoire malheureusement se répète… Pourriez-vous dire quelques mots sur l'expédition meurtrière raciste perpétrée il y a quelques jours en Italie (5) ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
C'est une tragédie de plus dans une Europe frappée d'amnésie. Ce qui se passe aujourd'hui - et que de plus en plus d'Européens cautionnent et banalisent parce qu'il y a soi-disant trop d'immigrés - est indigne d'un peuple qui s'est construit à travers les voyages, les explorations, la colonisation d'espaces lointains. Certes, l'Italie n'a pas une longue expérience de l'immigration africaine, mais elle sait ce qu'est l'émigration, la nécessité de partir pour avoir une vie meilleure. Les Italiens qui essayent de justifier cette barbarie devraient se souvenir qu'il n'y a pas si longtemps, l'Italie a envoyé des millions d'enfants en Amérique latine et aux États-Unis.<br />
<br style="font-size:4px" />
Sans faire une lecture idéologique, je pense qu'il y a à la fois une grande lâcheté et beaucoup d'arrogance dans ce geste. Non pas chez le tireur, qui finalement est plutôt à plaindre, mais chez les rhétoriciens du racisme vendant l'idée que l'on peut résoudre des problèmes en assassinant des gens différents. Non seulement il y aura encore des immigrés en Italie, mais j'ose croire qu'il y aura toujours des Italiens pour les accueillir à bras ouverts. C'est notre destin. Nous ne sommes pas obligés de nous aimer, mais nous sommes condamnés à vivre ensemble et à partager chaque morceau de cette planète. Ceux qui ne l'acceptent pas peuvent se préparer à détruire l'humanité entière.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Vous écrivez : "Mes propres racines sont dans le vent / J'aime le destin qui est le mien / De forcer les verrous de confidentialités. / Je serpente les terres humides / De l'Oural au Mojave / Pour puiser plus loin que dans les racines externes / La vérité du cœur humain." S'agit-il là de s'inscrire dans des "humanités circulaires", titre d'un chapitre ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Mon travail est avant tout un refus du confinement. Il y a dans l'immobilisme identitaire un manque de perspective et de liberté qui me fait peur. Au crépuscule de ma vie, je garderai toujours la même proximité, la même infinie tendresse pour l'Afrique et les Africains, les miens ; mais j'aimerais avoir le sentiment, à ce moment-là, d'avoir bouclé le cercle de mon identité en y intégrant le plus de différences possibles. D'où l'image cyclique d'une humanité qui se réalise en élargissant progressivement le cercle. Pour vous donner une métaphore, lancez une pierre dans une mare et observez le phénomène. Vous voyez la matière première qui coule irrémédiablement. Le seul témoin de son passage, ce sont les cercles concentriques qui se dessinent à la surface. Qu'est-ce qui restera du passage de l'humanité sur cette terre ? Cela m'étonnerait que la problématique raciale soit ce que nous laisserons comme traces.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Pourquoi le titre </em>Altercultures<em>, néologisme de votre invention ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
J'ai conçu cette "prénotion" d'altercultures pour signifier que chacun est un corps d'étrangeté dans son rapport à la collectivité. Il y a dans ce mot une volonté de mettre à distance les systèmes identitaires localisés, de ne pas totalement s'y immerger. Plutôt que de revendiquer une subjectivité collective fermée, j'essaye de révéler ce que chaque être humain porte en lui comme stigmates d'une altérité que le groupe social auquel il s'identifie aurait tendance à rejeter. Et ces "altercultures" qui se forment à la marge des systèmes fermés sont des énergies qui libèrent notre humanité.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Dans </em>La plume céleste<em>, vous rendez hommage à Sennen A. [Andriamirado (6)]. De lui, vous dites notamment : "Sennen envoie jusqu'à nous / Ses doigts griffer le marbre de nos consciences corrompues. / Des mots d'amour et de colère, pour dire combien il est triste de voir l'écriture descendre le chemin de l'affliction et l'acte d'informer se métamorphoser en marchandise négociable." Qu'incarne pour vous cet homme qui fut grand reporter et un acteur majeur de l'hebdomadaire Jeune Afrique ?</em></b><br />
<br style="font-size:4px" />
J'ai eu des héros de jeunesse et Sennen Andriamirado en faisait partie. Dans mon esprit d'enfant, puis d'adolescent, je confondais journalisme et histoire. Et Sennen représentait à ce titre l'idéal de la parole vraie, l'absence de compromission dans la relation à l'histoire. Je trouvais dans ce Malgache d'une beauté presque lunaire, un mélange de fragilité, de puissance, de vérité têtue. Il a écrit un livre important sur Thomas Sankara à une époque où la jeunesse africaine cherchait désespérément un héros positif. À mes yeux, cela l'a élevé lui-même au rang de héros. Mais en réalité, il y a des centaines de Sennen partout dans le monde. On les appelle des héros ordinaires.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Pour la préface, vous avez sollicité Souleymane Bachir Diagne. Un poème lui est dédié (</em>Le songe du savant<em>). Est-ce à dire que vous ressentez une affinité prononcée avec la discipline que ce grand penseur pratique et habite, la philosophie ? Peut-être avec non seulement une discipline mais un être humain…</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
J'ai beaucoup d'affection pour Souleymane Bachir Diagne. C'est quelqu'un qui, même s'il n'était pas ce grand penseur que tout le monde admire, correspondait à l'idée que je me faisais du lecteur hybride auquel le recueil fait référence. Cela va au-delà de la personne du philosophe, du moins dans son acception contemporaine. Le poème dont vous parlez évoque à mon sens l'aspect polyphonique de la quête que je crois être la sienne et qui est la mienne aussi. Les intellectuels inclassables m'intéressent davantage que les spécialistes ; et le philosophe, en tout cas celui qui m'inspire, est la figure de l'inclassable par excellence. Foucault disait que la profession de philosophe n'existait pas, il a peut-être raison. L'humain qui cherche à connaître sachant qu'il ne finira jamais de chercher, celui-là m'intéresse.<br />
<br style="font-size:4px" />
<br />
<b><em>Y a-t-il, selon vous, des liens privilégiés entre poésie et philosophie ?</em></b><br />
<br />
<br style="font-size:4px" />
Toutes deux ont rapport au monde, à l'existence, à l'être, à la connaissance. De grands textes fondateurs de l'humanité (sacrés ou profanes) apparus sous une forme poétique revêtent une dimension à la fois spéculative et métaphysique, qui fait que même s'ils ne sont pas des textes philosophiques, ils deviennent un objet de la philosophie. Je relisais l'épopée de Gilgamesh il y a peu et j'ai été frappé par son actualité sur des questions aussi fondamentales que la mort, l'altérité, la conscience de soi, le désir de perfection… Donc d'un point de vue général, la littérature - mais la poésie encore plus - a un lien avec le questionnement philosophique. Je ne sais pas si le lien est privilégié, mais il existe. Dans la pratique, la ligne de démarcation est si ténue que parfois les deux activités se rejoignent. En fait les exemples d'"interperméabilité" sont nombreux. Ceci est dû, je dirais, à la propension à s'étonner des choses que l'on trouve à la fois chez les poètes et chez les philosophes. Cela dit, la poésie est une chose et l'activité philosophique en est une autre. Ce sont des pôles d'émergence de sens qui se rejoignent souvent mais qui ne se confondent pas.</span></p>
<br />
<br />
<br />
<p>
1. As Malick Ndiaye est docteur en littérature. Il enseigne à Columbia University (New York).<br />
2. L'ouvrage <em>Altercultures</em> inaugure une nouvelle collection des Éditions Phoenix, "Mots et mémoire", dirigée par Sylvie Kandé.<br />
3. Sinta Bu Chora.<br />
4. Énorme véhicule 4x4.<br />
5. Le 13 décembre 2011, deux vendeurs ambulants sénégalais ont été tués par un militant d'extrême droite sur un marché de Florence ; trois autres ont été blessés, dont l'un d'entre eux "restera paralysé à vie" aux dires d'un porte-parole de la police.<br />
6. Père de Virginie Andriamirado, responsable de la rubrique Arts plastiques d'Africultures.</p>
<p>
Manhattan, décembre 2011<br />
<br />
As Malick Ndiaye, <em>Altercultures</em>, Éditions Phœnix, collection "Mots et Mémoire" (dirigée par Sylvie Kandé), préface de Souleymane Bachir Diagne, 2011, 142 p.</p>Entretien de Christine SitchetAffaire Nafissatou
http://asm.blogs.fr/page_3.html#a356970
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<p style="text-align:justify" class="MsoNormal">L’affaire Nafissatou Diallo/DSK est une nouvelle illustration du rôle des média et des réseaux de communication dans la fabrique de l’opinion. Le déferlement médiatique prévisible dans ce genre d’affaires est accentué ici par l’absence de traçabilité réelle de l’incident qui a eu lieu dans la chambre 2806 du Sofitel le 14 mai. Alors, la rumeur remplace ce que l’on ne sait de pas manière formelle. Une seule chose est sûre: une femme, travailleuse immigrée accuse l’un des hommes les plus puissants du monde (du moins symboliquement) de l’avoir violée et ce dernier nie cette accusation. Comment les faits se sont déroulés exactement ? Quelle est la véritable victime dans cette affaire ? S’évertuer à trouver des réponses à ces questions n’a aucun sens du moment que les parties s’enferment dans un mutisme calculé concernant l’essentiel. Rien d’ailleurs ne garantit que le procès fera éclater la vérité, puisqu’il s’agira d’évaluer la parole d’une personne contre celle d’une autre. Voilà aujourd’hui l’enjeu de la bataille médiatique entre DSK et sa victime présumée par avocats interposés. Comment décrédibiliser l’adversaire ? Comment faire admettre aux gens (et donc au jurés potentiels) que l’autre ment avant même qu’il/elle ait donné sa version ? Comment faire en sorte que ne soient pas évalués les faits eux-mêmes, mais plutôt les individus impliqués auxquels on prêtera caution selon leur degré de crédibilité. Tels sont les dérives que permet un système judiciaire perverti par l’argent et le libéralisme où tous les coups sont permis.</p>Affaire NafissatouCOMMENT PHILOSOPHER EN ISLAM ? De Souleymane Bachir Diagne
http://asm.blogs.fr/page_3.html#a304313
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><font face="Times New Roman"><strong><em><span style="FONT-SIZE: 11pt">Dis : "Sont-ils égaux ceux qui savent et les ignorants ?</span></em></strong><strong><em><span style="FONT-SIZE: 11pt; FONT-WEIGHT: normal; mso-bidi-font-weight: bold">
<p> </p>
</span></em></strong></font></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><font face="Times New Roman"><strong><em><span style="FONT-SIZE: 11pt">Les hommes doués d'intelligence sont les seuls qui réfléchissent. "</span></em></strong><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'">
<p> </p>
</span></font></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">(Sourate 39 - Az-Zumar - Verset 9
<p> </p>
</font></span></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">
<p> </p>
</font></span></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">Abou Houreira - qu'Allah l'agrée –
<p> </p>
</font></span></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">rapporte du Messager d'Allah ces propos :<br /><em style="mso-bidi-font-style: normal">«Cent degrés séparent la position du savant de celle du dévot
<p> </p>
</em></font></span></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><em style="mso-bidi-font-style: normal"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">. Entre chaque degré, il y a la distance que couvre
<p> </p>
</font></span></em></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><font face="Times New Roman"><em style="mso-bidi-font-style: normal"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'">un cheval au galop au cours de soixante-dix années. »</span></em><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'">
<p> </p>
</span></font></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: right; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing" align="right"><span style="FONT-SIZE: 11pt; mso-bidi-font-family: 'Times New Roman'"><font face="Times New Roman">Hadith Rapporté par Tirmidhi et Abou Daoud
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</font></span></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"> </p>
<p><font size="3" face="Times New Roman"> </font></p>
<p> </p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3" face="Times New Roman"> <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">De ce livre important, on dira que deux types de lecteurs n’en saisiront pas la pertinence : le paresseux et l’hermétique forcené.</strong> En effet, <em style="mso-bidi-font-style: normal">Comment philosopher en Islam </em>? est un texte bref mais dense et intelligent. Cela veut dire que sa lecture suppose une réflexion sur le sens pour s’épargner toute interprétation erronée, surtout pour ceux qui seraient tentés de limiter cette interprétation au titre. De la même manière, l’arrogance qui estimerait que l’Islam n’autorise pas la spéculation intellectuelle (un non sens hélas répandu) ferait manquer une véritable occasion de saisir le caractère profus de la production intellectuelle en terre d’islam. Par une salutaire ironie, la paresse et l’orgueil sont deux défauts abhorrés par la religion musulmane. Donc, lire et réfléchir sur un livre qui associe dans le même appareil sémantique Islam et philosophie est licite. Il s’agit là d’une évidence que des penseurs comme Averroès ont posé il y a plusieurs siècles et que Bachir Diagne réactualise fort à propos. <em style="mso-bidi-font-style: normal">« L’évidence du fait n’excuse pas qu’on la néglige »</em>, disait Lacan</font><a style="mso-footnote-id: ftn1" title="" href="https://www.blogs.fr/FCKeditor/editor/fckeditor.html?InstanceName=FCKeditor1&Toolbar=Default#_ftn1" name="_ftnref1"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-SIZE: 11pt"><span style="mso-special-character: footnote"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-FAMILY: "Times New Roman","serif"; FONT-SIZE: 11pt; mso-fareast-font-family: Calibri; mso-ansi-language: FR; mso-fareast-language: EN-US; mso-fareast-theme-font: minor-latin; mso-bidi-theme-font: minor-bidi; mso-bidi-language: AR-SA"><font color="#0000ff">[1]</font></span></span></span></span></span></a><font size="3" face="Times New Roman"> lui-même. Pourquoi une telle mise au point? Parce que simplement l’idée que le raisonnement rationnel, philosophique est incompatible avec la religion islamique est<span style="COLOR: red"> </span>un des freins à la connaissance de l’islam. Bachir Diagne démontre justement que, ce n’est pas dans la tradition islamique que l’on irait chercher l’argument de l’invalidité de la philosophie. D’abord, en expliquant pourquoi le Coran laisse ouverte la possibilité d’exercer de la raison, ensuite en proposant une véritable histoire des idées dans le monde musulman qui restitue la profondeur de philosophes de grande valeur depuis le Moyen Age. </font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3"><font face="Times New Roman"><strong style="mso-bidi-font-weight: normal">Le premier enseignement que nous propose Souleymane Bachir Diagne, c’est que l’Islam a, dès son avènement, été un champ propice à l’interprétatif.</strong> Il est dit dans le coran, que Dieu invite le musulman à raisonner pour trouver les moyens d’affermir sa foi. La sourate que Bachir Diagne rapporte dans son livre (p.107) « Ne considèrent-ils donc pas les chameaux comment ils ont été créés, et le ciel comment il est élevé, et les montagnes comment elles sont dressées, et la terre comment elle est nivelée » (Sourate 88/ Al Gasiyah, verset 17-20), est une invitation à réfléchir sur la création et l’Auteur de cette création. Ce que rappelle le fameux syllogisme « averoïste » ainsi posé: méditer sur ce qui est conduit à la connaissance de l’Auteur de toute chose. La connaissance de l’Auteur de toutes choses est une obligation. Par conséquent, méditer est une obligation. Donc, selon Averroès, philosopher est une…obligation légale, nous dit Diagne.</font></font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3" face="Times New Roman">On apprend aussi dans ce livre comment la question du sens se pose très tôt en Islam. La succession du Prophète Muhammad (PSL), par exemple, suscite des oppositions aux enjeux aussi bien politiques que théologiques. En ce sens que, le Législateur ne tranchant pas la question « Qui doit gouverner les croyants ? », <span style="mso-spacerun: yes"> </span>il a fallu spéculer pour légitimer à défaut de légiférer. Ce qui naturellement va créer le premier schisme important dans l’histoire de la religion. En plus de ce type de questions, d’autres comme le prédéterminisme, le libre-arbitre, la relation des attributs à l’essence divine, le Coran créé ou incréé, sont des sujets dans lesquels les penseurs musulmans se prononcent de manière contradictoire. Les courants de pensée s’affrontent alors dans un champ que les spécialistes appellent le <em style="mso-bidi-font-style: normal">kalâm</em>, que l’on peut considérer comme une manière « d’entendre la Parole » (<em style="mso-bidi-font-style: normal">ilm al kalam</em>). Cette discipline « à la lisière » des sciences de la religion connues comme le <em style="mso-bidi-font-style: normal">tafsir</em> (exégèse) ou le <em style="mso-bidi-font-style: normal">fiqh</em> (jurisprudence) est le cadre théologique où s’affrontent plusieurs écoles et Diagne donne un clair aperçu de la manière dont ces affrontements constituent un terreau favorable à l’émergence d’une philosophie moderne. Donc, au sein même de l’espace d’interprétation du texte religieux, la possibilité de débattre sur les postures de rationalité existe. Un débat qui semble être placé ailleurs que dans un clivage philosophie/religion puisque théologique. La théologie n’est rien d’autre qu’une activité spéculative en ce sens, et qui précède l’émergence de la philosophie au sens où nous l’entendons dans l’espace d’érudition islamique.</font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3"><font face="Times New Roman"><strong style="mso-bidi-font-weight: normal">La rencontre entre cette philosophie d’inspiration grecque et la pensée islamique ne se produit donc pas ex nihilo.</strong> <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">Il y a <span style="mso-spacerun: yes"> </span>un contexte qui permet cette fécondation mutuelle.</strong> Historiquement, on peut situer cette rencontre décisive aux VIIIème- IXème siècle de l’ère chrétienne avec l’affrontement de deux écoles, les mutazilites et les acharites. Le mutazilisme est important parce que c’est par ce courant rationaliste que la philosophie d’inspiration grecque (<em style="mso-bidi-font-style: normal">falsafa</em>) fait son apparition « officielle » dans le champ islamique. Grâce notamment au Calife Abasside Al Ma’mun, qui tente d’imposer par le sabre et par l’esprit, la « vérité » rationnelle du coran créé. Même s’il échoue dans son entreprise, Al Ma’mun permet l’émergence et le développement à Bagdad de la <em style="mso-bidi-font-style: normal">falsafa </em>et contribue à amorcer l’application des notions conceptuelles grecque à un corps de pensée déjà établi. Diagne rapporte d’ailleurs la savoureuse rencontre en songe du Calife Al Ma’mun avec Aristote qui lui confirme l’universalité de la raison. Si cette rencontre a la vérité du mythe, elle souligne l’importance de l’aristotélisme, voire du néoplatonisme, dans l’univers philosophique musulman à partir de cet instant.</font></font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font size="3" face="Times New Roman">Dans le prolongement des affrontements entre mutazilites et acharites, ce qui fait sens, c’est encore une fois, la place que doit occuper la raison, la capacité de spéculer, dans le rapport au texte coranique. Diagne analyse et éclaire les pensées de figures incontournables comme Avicenne, Al Fârâbî, Ghazali ou Averroès. Le lecteur comprend comment la question philosophique, à travers les querelles les plus marquantes, opposant par exemple, Avicenne à Ghazali ou Averroès au même Ghazali, à quelques siècles d’intervalle, a divisé les érudits musulmans dans une perspective philosophique. Et l’on comprend aussi que les divergences entre réformateurs et tenants de l’orthodoxie dans l’Islam moderne ne sont que la perpétuation des phénomènes de discontinuités dans la continuité du discours islamique. </font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font size="3" face="Times New Roman">Entre autres sujets, Bachir Diagne reproduit avec une rigueur scientifique les termes du débat continu à propos de l’ascension du prophète de l’Islam vers le lotus de limite. Il donne au lecteur les clefs pour comprendre comment la lévitation, perçue comme matérielle par certains et intérieure par d’autres, est un problème philosophique central chez les penseurs musulmans. Même Ghazali que l’orthodoxie sunnite appelle « la preuve de l’islam » (<em style="mso-bidi-font-style: normal">hujjat ul islam</em>), lorsqu’il s’emploie avec sa lecture du <em style="mso-bidi-font-style: normal">miraj</em> à condamner les ratiocinations philosophiques, fait œuvre de philosophie. Si l’on considère, le seul récit du <em style="mso-bidi-font-style: normal">miraj</em>, le « philosophe » natif de Tûs (dans l’actuel Iran) analyse le phénomène comme l’élément qui mène de lumière en lumière jusqu‘à la seule vraie lumière, celle de Dieu. L’ascension atteint son point ultime lorsque que la pluralité s’évanouit et donc la séparation du créé d’avec ce qui fait l’être. En d’autres termes, il existe une limite à la projection, à l’élévation imaginative (dans le sens humien), et cette limite n’est dépassable que par « l’esprit saint prophétique ». En des termes encore plus accessibles, la problématique de l’ascension échappe dans sa profondeur à notre esprit et il y a une certitude derrière laquelle il n’y a plus à chercher. La conclusion est qu’on ne peut pas expliquer ce qui dépasse la perception. On ne décrit pas la couleur à un aveugle de naissance ou encore selon l’auteur de <em style="mso-bidi-font-style: normal">Lettre au disciple</em>, le plaisir sexuel à un impuissant. Ghazali s’est évertué à attaquer la philosophie dans d’autres textes, mais ce qu’il est obligé de convenir, c’est qu’il le fait à l’intérieur même de l’objet de la philosophie : le raisonnement. Et Diagne ne manque pas de pointer un aspect important de la pensée ghazalienne, c’est qu’elle ébranle dans leur confort aussi bien ses contemporains philosophes que les élites mystiques qui tout en rejetant la philosophie tombent parfois eux-aussi dans le fantasme d’une essence supérieure. Selon Diagne, la préoccupation de Ghazali c’est de garder la communauté dans son ensemble accordée sur des doctrines et thèses qui ne comporteraient rien qui fût susceptible de déstabiliser la manière de croire du plus grand nombre. Les thèses de Ghazali sont à mettre en parallèle avec celles d’Averroès pour comprendre, comment par la logique, le littéralisme était une posture intenable en Islam. On connait la réponse cinglante qu’Averroès apporte au fameux </font><a title="Tahafut al-Falasifa" href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Tahafut_al-Falasifa"><em><font color="#0000ff" size="3" face="Times New Roman">Tahafut al-Falasifa</font></em></a><font size="3" face="Times New Roman"> (incohérence des philosophes) de Ghazali en écrivant lui-même son <em>Tahafut al-Tahafut</em> (incohérence de l'incohérence). Mais c’est dans le <em>Kitab fasl al-maqal</em> (Le traité décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie), qu’il répond aux attaques contre la philosophie au nom de la religion. Il n’est pas étonnant que la figure d’Averroès que l’égyptien Youssef Chahine a magnifiquement ressuscité dans son film <em style="mso-bidi-font-style: normal">Le destin</em> (1997), soit aujourd’hui le symbole de ceux-là qui prônent un islam ouvert et cultivé.</font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3" face="Times New Roman">Après s’être employé à restituer judicieusement toute la place du questionnement philosophique dans l’univers musulman, Bachir Diagne oriente son lecteur vers le véritable enjeu de son livre. On voit par la lecture des idées qui s’y déploient, <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">qu’il ne s’agit même plus de dire s’il existe une philosophie islamique. Encore moins de dire si la religion islamique permet de philosopher.</strong> Pas plus qu’il n’existe une philosophie essentiellement grecque, indoue ou africaine, il ne saurait y avoir une philosophie islamique comme système, même si la discipline elle-même existe et est enseignée. Même si, aussi, bien entendu, la philosophie se conçoit dans des espaces empiriques avec des objets de représentations observables dans des civilisations et que la <em style="mso-bidi-font-style: normal">falsafa</em> (philosophie, en arabe) est marquée du sceau des cultures musulmanes. De ce point de vue, il y a des philosophes baignés dans la civilisation musulmane dont l’objet illustratif est l’univers musulman, comme il y a des philosophes grecs, français, algériens ou chinois. Mais au-delà de cela, les questions auxquelles sont confrontés les penseurs musulmans ne leur sont pas exclusifs. </font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font size="3" face="Times New Roman">Le livre de Diagne explique, à travers des analyses et des anecdotes significatifs, comment thèses et antithèses se déploient dans le champ musulman ; il trace aussi les points de convergences (et de divergences, cela va de soi) entre d’autres personnalités, d’autres idées situées hors de l’espace musulman, que le lecteur peu familier avec les textes en question ne songerait jamais à établir. Que Platon, Aristote, Plotin, Ciceron et bien d’autres « anciens » ont fortement nourri la pensée musulmane au Moyen-âge, que cette pensée musulmane a, à son tour, coloré la scholastique occidentale et grandement influencé toute la philosophie européenne à partir du XVIIème siècle (Leibniz, Descartes, Spinoza, Hegel…), est une certitude pour la communauté scientifique. Au point que ce n’est pas une hérésie de suggérer, comme le reconnait Marwane Rashed, dans un entretien</font><a style="mso-footnote-id: ftn2" title="" href="https://www.blogs.fr/FCKeditor/editor/fckeditor.html?InstanceName=FCKeditor1&Toolbar=Default#_ftn2" name="_ftnref2"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-FAMILY: "Times New Roman","serif"; FONT-SIZE: 12pt; mso-fareast-font-family: Calibri; mso-ansi-language: FR; mso-fareast-language: EN-US; mso-bidi-font-size: 11.0pt; mso-fareast-theme-font: minor-latin; mso-bidi-theme-font: minor-bidi; mso-bidi-language: AR-SA"><font color="#0000ff">[2]</font></span></span></span></span></a><font size="3" face="Times New Roman">, qu’en un sens, des philosophes comme Leibniz et beaucoup de néoplatoniciens occidentaux, sont peut-être à leur insu des philosophes musulmans. Pour dire que des similitudes existent entre certains philosophes musulmans et des penseurs de tradition européenne dans l’appréhension des idées de Fatalisme, Décret, de Déterminisme, de Providence, de Liberté, etc. Voilà qui pose la philosophie comme point de départ pour une analyse hors du malentendu théorique du choc des civilisations (Huntington, Caldwell) qui fait le lit de certaines idéologies exclusives. Il n’y a pas d’affrontement par la pensée entre un monde islamique et un monde occidental.</font></p>
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font size="3"><font face="Times New Roman"><strong style="mso-bidi-font-weight: normal">De la même manière, il convient de délivrer la pensée islamique, d’une doxa qui en fait l’illustration en tout point d’un essentialisme arabe (on le voit très tôt chez Renan, penseur par excellence du racialisme). Il y a eu beaucoup de penseurs arabes, mais tous les penseurs musulmans (et parmi les plus décisifs) ne sont pas arabes.</strong> Des lettrés perses (Avicenne, Ghazali, Al Farabi…), turcs, andalous, indiens (Iqbal, Sayyid Ameer Ali), africains (Al-Jahiz, Tierno Bocar, Amadou Bamba, Malick Sy…) ont apporté une contribution extraordinaire à une vision érudite de l’Islam. Le dernier chapitre de l’ouvrage, « La philosophie du mouvement », n’est pas seulement une dissertation sur l’Islam et la modernité ou la nécessaire ouverture de l’esprit islamique. C’est aussi le prétexte pour Diagne de révéler la puissance et l’actualité de la philosophie de l’indien Mohamed Iqbal, autre penseur de la « Diversalité » musulmane qui est pour beaucoup dans la diffusion de l’esprit musulman au XXème siècle. La conclusion du livre elle-même prolonge comme en écho la question du pluralisme en Islam. On y découvre l’apport important de Bocar Salif Tall, penseur ouest-africain émérite, révélé au monde sous le nom de Thierno Bocar, par le non moins lumineux Amadou Hampathé Bâ. Ce Thierno Bocar, s’il n’est pas philosophe au sens commun, offre dans un dialogue que propose Diagne dans son « excipit », une idée qui constitue un véritable problème philosophique pour le musulman. <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">Comment s’ouvrir à l’Autre, partant du principe que seul Dieu a le pouvoir de juger et que son amour embrasse la création</strong> : </font></font></p>
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<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font face="Times New Roman"><span style="FONT-SIZE: 11pt">« Tierno, tu parles souvent de l’amour de Dieu qui embrasse tout. Mais Dieu aime-t-il aussi l’infidèle ? » « Oui » est (…) la réponse du maître, contre, dit-il, toutes les distinctions qui obsèdent ceux qu’il appelle « les attachés à la lettre », trahissant ainsi Celui au nom de qui ils prétendent parler et qui, Lui, est générosité envers les enfants d’Adam, « sans différencier leurs états ». Et son « oui » est bien ce qu’enseigne la philosophie : la sagesse de l’amour »</span><font size="3"> (p.176)</font></font></p>
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<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoNoSpacing"><font size="3" face="Times New Roman">Grâce à Bachir Diagne, un philosophe né au Sénégal, on découvre à remontant le fil de l’histoire des pensées que le corps de doctrine musulman dépasse allégrement les clivages ethniques et/ou linguistiques, voire religieux. On en revient au postulat initial que la raison n’est pas cantonale mais universellement saisissable. Et c’est exactement ce que dit Al Kindi, figure originelle de la <em style="mso-bidi-font-style: normal">falsafa</em>, reconnaissant l’apport d’Aristote à la raison islamique :</font></p>
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<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-SIZE: 11pt"><font face="Times New Roman">« Aristote le plus éminent des Grecs en philosophie a dit ceci « Nous devons remercier les pères de ceux qui ont apporté une part du vrai, parce qu’ils ont été la cause de leur être, en sus de ce que nous devons à ceux-ci. En effet, ceux-là ont été la voie, et c’est par leur moyen que nous pouvons atteindre le vrai. » […] Or nous ne devons pas rougir de trouver beau le vrai, d’acquérir le vrai d’où qu’il vienne, même s’il vient de races éloignées de nous et de nations différentes. Pour qui cherche le vrai, rien ne doit passer avant le vrai, le vrai n’est pas abaissé ni amoindri par celui qui le dit ni par celui qui le porte. Nul ne déchoit du fait du vrai mais chacun en est anobli. » (Al Kindi, <em style="mso-bidi-font-style: normal">Philosophie première</em>)
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<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 10pt" class="MsoNormal"><font size="3"><font face="Times New Roman">Comment maintenir tendu le fil jamais vraiment rompu entre la pensée en terre d’islam et la pensée universelle ? Comment veiller à ne pas exclure l’humain de l’esprit musulman ?voilà le véritable sens de <em style="mso-bidi-font-style: normal">Comment philosopher en Islam</em>. Il va sans dire que cela donne au livre une urgente actualité, alors le musulman apparaît comme l’incarnation d’un archaïsme réfractaire à la réflexion et à l’altérité. Bachir Diagne, un auteur qu’on peut qualifier sans dithyrambe de « véritable navette spatiale » de l’intellectualisme africain, nous entraîne à travers un texte limpide, extrêmement bien écrit, à démêler les nœuds de préjugés sur l’Islam. Il est heureux qu’il puisse restituer ainsi la profondeur de réflexions produites dans l’espace musulman depuis plusieurs siècles et rappeler à ses contemporains, musulmans ou non, les responsabilités de l’homme face à l’humanité. Le rappel, un mot mais aussi un principe. On le retrouve au cœur même de la tradition islamique comme vertu pédagogique et ancrage du salut pour les croyants (sourate 51, verset 55). <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">Si être bon signifie rappeler que l’Islam n’est pas contradictoire à la pensée et que le destin islamique est indissociable de celui de l’humanité, alors nul doute que ce livre est bon.</strong></font></font></p>
<div style="mso-element: footnote-list"><br clear="all" /><font size="3" face="Times New Roman"><hr align="left" size="1" width="33%" /></font>
<div style="mso-element: footnote" id="ftn1">
<p style="TEXT-ALIGN: justify; MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoFootnoteText"><a style="mso-footnote-id: ftn1" title="" href="https://www.blogs.fr/FCKeditor/editor/fckeditor.html?InstanceName=FCKeditor1&Toolbar=Default#_ftnref1" name="_ftn1"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="COLOR: black; FONT-SIZE: 9pt; mso-fareast-font-family: 'Times New Roman'; mso-fareast-theme-font: major-fareast"><span style="mso-special-character: footnote"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-FAMILY: "Times New Roman","serif"; COLOR: black; FONT-SIZE: 9pt; mso-fareast-font-family: 'Times New Roman'; mso-ansi-language: FR; mso-fareast-language: FR; mso-fareast-theme-font: major-fareast; mso-bidi-language: AR-SA">[1]</span></span></span></span></span></a><span style="COLOR: black; FONT-SIZE: 9pt"><font face="Times New Roman"> <strong style="mso-bidi-font-weight: normal">Jacques Lacan</strong>, « Le rapport de Rome » dans, <em style="mso-bidi-font-style: normal">Ecrits</em>, Tome I, Paris, Seuil, 1966, p. 123.
<p> </p>
</font></span></p>
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</div>
<div style="mso-element: footnote" id="ftn2">
<p style="MARGIN: 0cm 0cm 0pt" class="MsoFootnoteText"><a style="mso-footnote-id: ftn2" title="" href="https://www.blogs.fr/FCKeditor/editor/fckeditor.html?InstanceName=FCKeditor1&Toolbar=Default#_ftnref2" name="_ftn2"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="mso-special-character: footnote"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="LINE-HEIGHT: 115%; FONT-FAMILY: "Times New Roman","serif"; FONT-SIZE: 10pt; mso-fareast-font-family: 'Times New Roman'; mso-ansi-language: FR; mso-fareast-language: FR; mso-bidi-font-size: 12.0pt; mso-bidi-language: AR-SA"><font color="#0000ff">[2]</font></span></span></span></span></a><font size="2" face="Times New Roman"> Marwan Rashed, « L’Islam, les Grecs et nous », entretien <em style="mso-bidi-font-style: normal">Aux Nouveaux chemins de la connaissance</em>, France Culture, mai 2010</font></p>
</div>
</div>COMMENT PHILOSOPHER EN ISLAM ? De Souleymane Bachir Diagnehttp://reportour.francesoir.fr/MalickNdiaye
http://asm.blogs.fr/page_3.html#a302696
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